20 avril 2023

Soudan : les habitants de Khartoum cherchent la sortie d’urgence



Au cinquième jour du conflit au Soudan, de nombreux riverains de la capitale Khartoum ont profité d’une relative accalmie pour quitter la ville. Le bilan approche les 300 morts tandis que les combattants terrorisent les citoyens jusque dans les foyers.




Un imposant sac plastique à la main, Salahadin Abakar marche depuis plus de trois heures sous un soleil de plomb. « Nous prendrons ce que nous trouverons, une voiture ou un bus », souffle cet agent de sécurité avant de poursuivre son chemin vers la gare routière la plus proche. Des dizaines de citoyens aux bras chargés remontent une artère de l’est de Khartoum, la rue 60, en direction de ladite gare.


Le silence ambiant tranche avec les bombardements intermittents qui se poursuivent ce mercredi 19 avril, au cinquième jour du conflit entre l’armée et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR). Un bilan provisoire recense 296 victimes. Les tirs sont néanmoins plus espacés que les journées précédentes, alors que de nombreuses familles tentent de se mettre à l’abri, loin de la capitale.


Un coûteux périple

La plupart d’entre elles prévoient de rejoindre Wad Madani, à 200 kilomètres au sud. « Nous ne sommes pas en sécurité ici », dit simplement Osman Ahmed, depuis la rue 60. Djellaba blanche et tagiya (chapeau islamique) assortie, ce sexagénaire est en quête d’un véhicule à louer afin de transporter ses filles et ses huit petits-enfants vers le sud. Il s’apprête à débourser 170 000 livres soudanaises, soit 260 €. « Ces entreprises profitent de la situation », peste-t-il.


Dans le même temps, à Wad Madani, des riverains ouvrent leurs portes aux inconnus. Mohamed Mahrogi est propriétaire d’un dortoir pour étudiantes, vidé de ses pensionnaires à l’approche de l’Aïd. Mardi soir, il a posté une annonce sur les réseaux sociaux pour proposer sa cinquantaine de lits « aux personnes de Khartoum et des autres États affectés par la guerre ». Depuis, son téléphone n’arrête pas de sonner.

Wad Madani est en effet épargnée par les conflits, en raison de l’absence de base paramilitaire. « La situation est complètement différente ici. Les habitants vivent leur vie normalement. Certains doivent penser que la guerre est une blague », ironise Abdalla Mahjoub, 23 ans. Il a lui-même effectué le trajet la veille, avec ses parents.


Les paramilitaires en quête d’argent dans les immeubles


« Nous dormions sous nos lits depuis qu’un FSR s’était mis à tirer en l’air au deuxième jour du conflit. Une balle a atteint notre balcon. Il n’y avait aucun militaire autour. Le seul objectif de ce milicien consistait à terroriser les civils », dénonce ce dentiste, dont le logement est privé d’eau et d’électricité. Souvent très jeunes, et envoyés tout droit du Darfour (ouest du pays) dans les semaines précédant l’offensive, les FSR sèment ainsi la terreur dans la capitale.


Soudan : le général Dagalo à la conquête du pouvoir


Amira Abdelgader ne parvient pas à retenir ses larmes. Cette mère célibataire est barricadée, seule, avec ses deux petits de 5 et 6 ans. Ce mercredi matin, elle s’apprêtait à prendre le bus, direction Port-Soudan, dans l’Est, quand des FSR ont fait irruption dans son immeuble. « Ils ont frappé à la porte de ma voisine, raconte cette professeure de mathématiques. Je l’ai entendue répéter qu’elle avait un bébé et qu’elle n’avait rien à leur donner. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé. Nous entendions seulement le son de leurs bottes sur le sol… » Traumatisée, elle n’ose pas regarder si ces derniers sont toujours en bas de chez elle.


« Nous connaissons leurs méthodes. Ils veulent voler de l’argent, des téléphones ou des voitures et violer des filles », poursuit Amira Abdelgader. Beaucoup d’habitants de Khartoum cherchent par tous les moyens à s’extirper de ce chaos. Tout en redoutant de se faire arrêter, voler ou agresser sur la route au passage d’un point de contrôle. Aux mains de l’un ou l’autre des belligérants.




  • Reportage, Augustine Passilly, correspondante de La Croix à Khartoum.

19 avril 2023

Soudan : cinq questions sur les combats meurtriers qui opposent deux généraux et déchirent le pays



Depuis samedi 15 avril, de violents affrontements au Soudan opposent l’armée régulière du général Abdel Fattah al-Burhane et les forces paramilitaires du général Mohamed Hamdane Daglo. D’après l’Onu, les combats ont déjà fait près de 200 morts et au moins 1 800 blessés. On fait le point sur la situation au cinquième jour des combats.

Une centaine de civils ont été tués dans la guerre désormais ouverte entre les deux généraux aux commandes du Soudan depuis leur putsch d’octobre 2021.

Depuis des semaines, les 45 millions de Soudanais regardaient, anxieux, le fossé se creuser entre le commandant de l’armée, Abdel Fattah al-Burhane, et son numéro deux, Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemedti », patron des Forces de soutien rapide (FSR).

Samedi, leurs hommes se sont lancés dans une bataille rangée et depuis, Khartoum et d’autres villes tremblent sous les tirs et les raids aériens. On fait le point sur la situation.


1. Comment en est-on arrivé là ?

En octobre 2021, les deux généraux ont fait front commun pour évincer les civils avec lesquels ils partageaient le pouvoir depuis la chute du dictateur Omar el-Béchir en 2019.

« Un mariage de raison » pour le putsch, explique à l’AFP le chercheur Hamid Khalafallah. « Ils n’ont jamais eu de partenariat sincère mais des intérêts communs face aux civils ».

Et les brèches de l’union sacrée sont rapidement apparues au grand jour : Le chef des Forces de soutien rapide (FSR), Hemedti, a plusieurs fois dénoncé l’« échec » d’un putsch qui a réinstauré « l’ancien régime » de Béchir, selon lui. Puis le conflit s’est intensifié quand il a fallu signer les conditions d’intégration de ses hommes aux troupes régulières, dans le cadre de l’accord avec les civils qui devait relancer la transition démocratique.

Pour les experts, cet accord a ouvert la boîte de Pandore : en laissant les militaires négocier entre eux, « Hemedti est passé du statut de second à celui d’égal de Burhane », affirme à l’AFP Kholood Khair, qui a fondé le centre de recherche Confluence Advisory à Khartoum. Se sentant « plus autonome face à l’armée », Hemedti a vu une opportunité de réaliser « ses très grandes ambitions politiques », abonde auprès de l’AFP Alan Boswell, en charge de la Corne de l’Afrique à l’International Crisis Group.

Samedi 15 avril, une ligne a été franchie. Désormais l’opposition entre les deux généraux à dégénérer en violences.


2. Qui sont Abdel Fattah al-Burhane et Hamdane Daglo ?

Abdel Fattah al-Burhane. Le général al-Burhane incarne le visage du pouvoir militaire au Soudan, un pays quasiment toujours sous la coupe de l’armée depuis son indépendance en 1956. Ce général âgé aujourd’hui de 62 ans est le commandant de l’armée.

Natif de Gandatu, un village au nord de Khartoum, Abdel Fattah al-Burhane a servi sous l’ancien président Omar el-Béchir en tant que commandant de l’armée de terre. En 2019, il prend la tête de l’armée lorsque le dictateur est renversé le 11 avril après quatre mois de contestation populaire déclenché par le prix du pain, et dirige le Conseil de souveraineté, pour superviser la transition vers la démocratie.

Mais à l’aube du 25 octobre 2021, à la surprise générale, le général Burhane annonçait à la télévision arrêter la quasi-totalité des ministres et responsables civils avec qui il formait un gouvernement.

Hemedti qui était pourtant à ses côtés, dénonce depuis un « échec » et qualifie le général Burhane de « criminel ».


Mohamed Hamdane Daglo. Issu des milices qui ont semé la terreur au Darfour, le général Mohamed Hamdane Daglo dit « Hemedti » s’est imposé comme un acteur incontournable de la politique et de l’économie au Soudan.

Depuis 2013, il dirige les Forces de soutien rapide (FSR), grand supplétif paramilitaire créé par le dictateur Omar el-Béchir. Le 25 octobre 2021, Hemedti prête main-forte au chef de l’armée régulière, le général Abdel Fattah al-Burhane, qui mène un putsch pour évincer les civils. Hemedti devient alors le numéro deux du pouvoir militaire.

Mais aujourd’hui, le chef des FSR dit avoir changé et est devenu l’ennemi juré d’al-Burhane. Après avoir été un rouage de la dictature militaro-islamiste du général Béchir, il se pose désormais en parangon de l’État civil et en adversaire farouche de l’islam politique. Il s’aligne désormais sur les civils pour dénoncer l’armée et se réclamer des « acquis de la révolution » de 2019.

Depuis des mois, il s’est invité sur les réseaux sociaux, multipliant les comptes sur Facebook, Instagram ou même TikTok pour s’adresser aux plus jeunes – deux tiers des Soudanais ont moins de 30 ans.


3. Où en sont les combats ?


Depuis samedi, les combats se concentrent surtout à Khartoum et dans la région du Darfour (ouest). Mardi, dans la soirée, des tirs et des explosions ont encore secoué la capitale, en dépit d’appels à la trêve, au quatrième jour de combats entre l’armée et les paramilitaires.

À l’issue d’une médiation du Soudan du Sud, les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), et l’armée s’étaient pourtant engagées à une trêve de 24 heures pour évacuer les civils des régions les plus dangereuses.

Mais les explosions, colonnes de fumée, odeur de poudre et rafales de tirs ont continué. « Il n’y a aucun signe d’apaisement à Khartoum et dans plusieurs autres zones », constatait l’Onu dans la soirée.

L’armée et les FSR se sont empressés de s’accuser mutuellement d’avoir « violé la trêve ». Pour l’heure, impossible de savoir qui contrôle les institutions et lieux de pouvoir. Les deux camps disent par communiqués interposés tenir l’aéroport, le palais présidentiel ou encore le QG de l’état-major.


4. Quel est le bilan humain ?

Les violences ont fait depuis samedi plus de 185 morts à travers le pays, selon l’Onu, et poussé plusieurs ONG et agences onusiennes à suspendre toute aide.

Lundi, un convoi diplomatique américain a essuyé des tirs et l’ambassadeur de l’Union européenne a été « agressé dans sa résidence » à Khartoum. La diplomatie soudanaise, loyale au général al-Burhane, a accusé les FSR.

Du côté des blessés, l’Onu recensait mardi 1 800 blessés, et sûrement beaucoup plus tant l’accès aux zones de combats est difficile, pour les patients comme pour les médecins.

Au Darfour, bastion du général Hemedti et de milliers de ses hommes qui y ont mené des atrocités durant la guerre lancée dans cette région en 2003, Médecins Sans Frontières (MSF) a dit avoir accueilli en trois jours 183 blessés, « dont beaucoup d’enfants » dans son dernier hôpital fonctionnel.

Ce mercredi, ce sont par milliers que des femmes et des enfants ont pris la route vers les provinces hors de Khartoum.


5. Comment réagit la communauté internationale ?

Lundi 18 avril, au troisième jour des combats, le secrétaire général de l’Onu Antonio Guterres appelait les deux généraux rivaux à cesser les affrontements. « Je condamne fermement le déclenchement des combats qui ont lieu au Soudan et appelle les dirigeants des forces armées du Soudan et des Forces de soutien rapide à cesser immédiatement les hostilités, restaurer le calme et commencer un dialogue pour résoudre la crise », a-t-il déclaré.

Dès le début des combats, l’Onu, Washington, Paris, Moscou, Ryad, l’Union africaine, la Ligue arabe, l’Union européenne, les membres du G7 et même l’ancien Premier ministre civil Abdallah Hamdok ont appelé à un cessez-le-feu « immédiat », pour l’instant sans effet, l’accord de mardi ayant échoué.

Samedi, la France exprimait notamment sa « vive inquiétude » face à la situation, appelant les deux parties à « tout mettre en œuvre pour faire cesser » les violences. « Seul le retour à un processus politique inclusif, conduisant à la nomination d’un gouvernement de transition et à des élections générales, peut régler durablement cette crise », a estimé le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué.


Ouest-france

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